Bouts des variétés hyperboliques
Bouts des variétés hyperboliques de dimension 3
Soit $\Gamma$ un sous-groupe discret de $PSL_2(C)$ (groupe Kleinien). Il existe un plus grand ouvert invariant $\Omega_\Gamma$ (éventuellement vide) de la sphère $\widehat{C}=\partial H^3$ sur lequel l'action de $\Gamma$ est discontinue, c'est le domaine de discontinuité de $\Gamma$. Le terme "groupe Kleinien" est parfois réservé au cas $\Omega_\Gamma\neq \emptyset$. L'ensemble limite de $\Gamma$, noté $\Lambda_\Gamma$ est le plus petit-fermé non vide de $\widehat{C}$ invariant par $\Gamma$. On peut le définir indiféremment comme le complétaire de $\Omega_\Gamma$ ou comme l'ensemble des points d'accumulation d'une orbite de $\Gamma$ (dans $H^3$ ou dans $\widehat{C})$. C'est l'adhérence de l'ensemble des points fixes des éléments hyperboliques (resp. paraboliques, s'il en existe) de $\Gamma$.
Un groupe Kleinien $\Gamma$ est élémentaire s'il admet une orbite finie sur la boule ; son ensemble limite est alors fini (de cardinal 0, 1 ou 2). Si $\Gamma$ n'est pas élémentaire, l'ensemble limite est infini non dénombrable sans points isolés.
Définition (Coeur convexe) Soit $M = \Gamma\backslash H^3$ une variété hyperbolique complète de dimension 3 et soit $C(\Lambda_\Gamma)$ l'enveloppe convexe de l'ensemble limite $\Lambda_\Gamma$. Le coeur convexe de $M$ est défini par $C(M)= \Gamma\backslash C(\Lambda_\Gamma)$.
On notera que dans le modèle de Klein de l'espace hyperbolique, pour lequel les géodésiques sont des arcs de droites affines, $C(\Lambda_\Gamma)$ est l'enveloppe convexe au sens de $R^3$ de l'ensemble limite $\Lambda_\Gamma$ qui est compact. Cet ensemble est donc compact dans la boule et relativement fermé dans $H^3$. Quand $C(M)\neq M$, la projection sur coeur convexe définit une rétraction par déformation et l'inclusion $C(M)\subset M$ est une équivalence d'homotopie ; le bord $\partial C(M)$ du coeur convexe est une surface, généralement plissée le long d'une lamination géodésique. De plus, la métrique de longueur induite sur $\partial C(M)$ est hyperbolique.
A partir d'ici, on ne considère que des variétés $M= \Gamma\backslash H^3$ dont le groupe fondamentale $\Gamma$ n'a pas d'éléments paraboliques.
Définition (Bout géométriquement fini) Un bout d'une variété hyperbolique complète est géométriquement fini s'il admet un voisinage qui ne rencontre pas le coeur convexe.
Un bout $\mathcal{E}$ géométriquement fini de $M$ correspond à une composante $S_\mathcal{E}$ du bord $\partial C(M)$ et admet un voisinage homéomorphe à $S_\mathcal{E}\times [0,\infty[$. L'aire de la section $S_t$ de $\mathcal{E}$ (surface à distance $t \geq 0$ de $S_\mathcal{E}$ croît comme $exp(2t)$.
Exemple. Si $\Gamma$ est quasi-fuschien (son ensemble limite est un quasi-cercle, c'est-à-dire l'image d'un cercle par un homéomorphisme quasi-conforme de la sphère), alors $\Gamma\backslash H^3$ a deux bout géométriquement finis. Dans le cas (dégénéré) où $\Gamma$ est fuschien, le coeur convexe est réduit à une surface.
Contre-exemple. Soit $M$ la suspension d'un pseudo-Anosov d'une surface $S$ de genre au moins 2. D'après Thurston, $M$ est hyperbolique. Soit $N$ le revêtement cyclique associé à la fibration de $M$ sur le cercle. L'ensemble limite de $\pi_1 N$ (distingué dans $\pi_1 M$) est le même que celui de $\pi_1 M$, c'est-à-dire la sphère puisque $M$ est compacte. La variété $N$ est homéomorphe à $S\times R$, elle a deux bouts homéomorphe à ceux de l'exmple précédent mais géométriquement infinis.
Définition (Surface hyperbolique simpliciale) Soit $M$ une variété hyperbolique complète de dimension 3. Une surface hyperbolique simpliciale est l'image $S=f(T)$ d'une application $f:T\to M$ d'une surface $T$ munie d'une structure de $\Delta$-complexe (par exemple triangulée) dans $M$ telle que
- sur chaque triangle $f$ est une immersion totalement géodésique,
- la somme des angles à chaque sommet est $\geq 2\pi$.
Théorème (Lemme du diamètre borné) Soit $0< \delta < \mu$, où $\mu$ est la constante de Margulis et soit $S$ une surface simpliciale dans une variété hyperbolique complète $M$. On suppose que toute courbe fermée simple essentielle de $S$ de longueur inférieure à $\delta$ n'est pas homotopiqumeent triviale dans $M$ (on dira que $S$ est $\pi_1$ injective sur les courbes $\delta$-courtes). Alors il existe une constante $C_0=C_0(\chi(S),\delta,\mu)$ telle que deux points arbitraires $x$ et $y$ de $S$ peuvent être reliés par un arc $\alpha$ dans $S$ vérifiant $long(\alpha\smallsetminus M_{\leq \mu}) \leq C_0$. Autrement dit le diamètre de $S$ modulo la partie mince de $M$ est borné par $C_0$.
Preuve. Soit $S=S_{\leq \epsilon} \cup S_{\geq \epsilon}$ la décomposition mince-épaisse intrinsèque de $S$. L'hypothèse d'injectivité en $\pi_1$ sur les petites courbes entraîne que la partie mince $S_{\leq \epsilon}$ est incluse dans $M_{\leq \epsilon}$. Soient $B_1(\delta/2),\ldots,B_N(\delta/2)$ des boules disjointes de $S$, centrées sur $S_{\geq \epsilon}$ et de rayon $\delta/2$. Si $N$ est maximal, les boules de rayon double $B_1(\delta),\ldots,B_N(\delta)$ recouvrent $S_{\geq \epsilon}$. Le diamètre de $S_{\geq \epsilon}$ modulo $M_{\leq \epsilon}$ est donc majoré par $2N\delta$. Les boules $B_i(\delta)$ sont plongées et comme la courbure de $S$ est $\leq 0$ (en fait $\leq -1$), y compris aux sommets, on a $Aire(B_i(\delta/2)) \geq \pi (\delta/2)^2$ pout tout $i$. D'après Gauss-Bonnet, on a par ailleurs $Aire(S)\leq 2\pi|\chi(S)|$. Par suite $N$ est inférieur à $2|\chi(S)|/\delta^2$, d'où le résultat.
Soit $C$ un coeur compact de $M$. Tout bout $\mathcal{E}$ de $M$ est bordé par une composante
$S_\mathcal{E}$ du bord de $C$. On note $r$ une rétraction de $\mathcal{E}$
sur $S_\mathcal{E}$.
Définition (Bout simplement dégénéré) Un bout $\mathcal{E}$ de $M$ est simplement dégénéré s'il admet un voisinage homéomorphe à un produit $S_\mathcal{E} \times [0,\infty[$ et s'il existe une suite de surfaces simpliciales hyperboliques $S_n$ d'aire finie qui "converge" vers $\mathcal{E}$ et telle que $r|S_\mathcal{E}$ soit homotope à un homéomorphisme $S_n\simeq S_\mathcal{E}$.
Un bout $\mathcal{E}$ de $M$ est dit "géométriquement modéré" s'il est
géométriquement fini ou simplement dégénéré. Un objectif pour la suite est d'établir
le résultat suivant.
Théorème (critère de modération) Soit $M=\Gamma\backslash H^3$ une variété hyperbolique complète dont le groupe fondamental $\Gamma$ est de type fini (et sans parabolilques). Soit $C$ un coeur compact de $M$ et soit $\mathcal{E}$ un bout de $M$ et soit $S_\mathcal{E}$ la composante de $\partial C$ associé à $\mathcal{E}$. On suppose qu'il existe une suite $S_n$ de surfaces fermées telles que
- la suite $S_n$ converge vers $\mathcal{E}$,
- $S_n$ est une surface hyperbolique simpliciale et $genre(S_n)\leq genre(S_\mathcal{E})$,
- $[S_n]= [S_\mathcal{E}]$ dans $H_2(M\smallsetminus C)$ ($S_n$ sépare homologiquement le coeur $C$ et $\mathcal{E}$).
Alors le bout $\mathcal{E}$ est géométriquement (et topologiquement) modéré.
Remarque. Un bout $\mathcal{E}$ topologiquement modéré qui vérifie (1), (2) et (3) est
géométriquement modéré. En effet, par (3), la rétraction de $\mathcal{E}$ sur le bord du coeur
compact $C$ induit une application de degré 1 de $S_n$ dans $S_\mathcal{E}$. On en déduit
que $genre(S_n) = genre(S_\mathcal{E})$ et que $r|S_n$ est homotope à un homéomorphisme.